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lundi 24 juillet 2017

De la Rénovation à la Décommunisation?



La loi sur la rénovation a définitivement été adoptée par la Douma avant la fin de la session parlementaire et une première étude sociologique, contrastée, est sortie. Cette étude tombe à pic, puisque la présidente du comité de la Douma pour la politique du logement prépare un projet de loi visant à généraliser à toutes les régions russes le programme de rénovation. La "Rénovation" serait-elle devenue cette grande idée nationale qui permette à toute la Russie de faire peau neuve, d'une certaine manière de continuer la grande vague de "décommunisation" très à la mode en Europe? Quand la nécessité de vivre mieux se conjugue avec des intérêts idéologiques discutables.


La chaîne libérale RBK a demandé une étude sociologique concernant la Rénovation auprès du Centre Levada, concurrent du l'autre institut de sondage, Vtsiom. Ce dernier, en avril, avait annoncé que 80% des personnes interrogées, dont les immeubles étaient inclus dans la liste à détruire, était favorable, 74% en mai et, en juin, 67% des moscovites soutenaient ce programme. Avant même que les travaux n'aient commencé, la tendance est au réalisme.

Toutefois, ces chiffres pris en bloc, s'ils permettent d'affirmer que les personnes qui habitent dans les immeubles à détruire sont majoritairement favorables au programme, n'explique en rien les motivations des uns et des autres et surtout la position des "voisins" de ces immeubles. Rappelons que finalement, environ 4500 immeubles seront détruits (à Moscou il y a environ 40 000 grands immeubles, il s'agit donc d'une part considérable) et autant seront construits, sachant qu'il est possible qu'un millier soit ajouté à cette liste. Bref, les voisins de 10 000 immeubles environ seront concernés par des travaux de grande ampleur, du bruit, de la poussière, toute sorte de nuisance. Sans parler des commerces qui s'y trouvent et qui, eux, ne recevront aucune compensation pour les préjudices subis, la législation russe ne le prévoyant pas.

Pour comprendre l'ampleur attendue, voici une carte indiquant les quartiers de Moscou et le nombre d'immeubles qui risquent d'être démolis:


Il est intéressant de noter que ces quartiers sont à la fois ceux dans lesquels le potentiel de contestation politique et les revenus sont les plus faibles (voir les cartes comparatives ici). 

Forcément, cette partie de la population qui habite à proximité est moins satisfaite de l'annonce de ces grands travaux. 64,5% ne veulent pas que le programme de rénovation concerne leur immeuble. Ce qui leur fait le plus peur dans ces quartiers, c'est justement l'ampleur de ce programme (34%). Parmi ceux qui sont opposés à la destruction massive des immeubles (puisqu'il ne s'agit plus uniquement des Khrouchtchevka, comme annoncé initialement, le domaine est maintenant beaucoup plus large), ils n'ont pas confiance en la qualité des nouveaux bâtiments construits à 34% (il faut dire que l'expérience des "nouvelles constructions" qui se détériorent à peine 5 ans après être terminées leur donne raison) et des nuisances à 31%, des problèmes de transports à 24%. Ils estiment également que le véritable bénéficiaire sera la municipalité (41%) et 9% estiment que cela est fait dans l'intérêt des habitants.

Une proportion inverse se retrouve parmi ceux qui soutiennent la rénovation, les habitants font beaucoup plus confiance aux pouvoirs moscovites. 70% estiment que leur bâtiment est insalubre et qu'ils vivront dans de meilleures conditions. 46% espèrent également recevoir un appartement de dimension plus grande. 

Un élément est également significatif. 65% des personnes favorables à la Rénovation estiment que les travaux d'entretient réalisés dans leur appartement sont de mauvaise qualité. A l'inverse, 70% des opposants à la Rénovation sont satisfaits des travaux faits dans leur appartement. N'est-ce pas ici la clé du problème, qui a été exploitée pour lancer le programme de Rénovation?

Quelques conclusions peuvent déjà être tirées. 

La première est que la zone des immeubles à détruire a été assez bien cernée, pour ne pas provoquer trop de remous, même si un tiers des personnes de ces zones ayant voté contre la Rénovation sont prêtes à aller manifester, le droit de propriété ayant été de toute manière "collectivisé". 

L'un des problèmes irrésolubles, malgré l'ampleur de la campagne de communication, à la mesure de l'ampleur du programme de destruction envisagé, est celui du mécontentement des personnes habitant à proximité. Les nuisances à venir sont réelles, importantes et rien n'est prévu. Par ailleurs, ce problème est objectif et rien ne pourra le régler. Il s'agit donc d'une population dont le potentiel contestataire va augmenter ces prochains mois et années, au fur et à mesure de la réalisation des risques.

La plupart des personnes favorables à la Rénovation, ne sont pas satisfaites des travaux faits. Et si ici n'était pas le véritable problème, hérité de la période soviétique? Les gens sont devenus propriétaires de leur appartement sans avoir forcément les moyens de l'entretenir, de payer les impôts locaux, d'assurer les travaux d'entretien de l'immeuble. Ce problème ne sera pas résolu, il sera déplacé, suspendu pendant quelques années. Avant que le bâtiment ne se détériore, qu'il ne faille changer la tapisserie, entretenir les canalisations, refaire la toiture, etc. Pour les bâtiments menaçant ruine, la question ne se pose pas, leur destruction est obligatoire et aurait dû être réalisée depuis longtemps, la mairie de Moscou annonçant haut et fort que le budget se porte à merveille. 

Enfin, entre ce qui sera détruit et ce qui sera construit, il s'agit globalement d'un quart du parc des grands immeubles moscovites. De quoi totalement changer l'allure de la ville, qui change déjà très vite. Or, la ville de Moscou n'est pas n'importe quelle ville. Elle est le coeur de la Russie, elle est un symbole, les moscovites ont presque un rapport charnel avec elle. Ce rapport complexe est particulièrement présent dans la poésie. 

Rappelons M. Lermontov :
"Moscou, Moscou! Je t'aime comme un fils"
Ou encore V. Lebedev-Koumatch:
"Dans son histoire, l'histoire du peuple"
Une ville est comme un visage humain qui porte ses rides comme on porte son histoire. Gommer les dissonances pour trouver une plus grande homogénénité, c'est également simplifier l'histoire. Tout est propre, tout est neuf. Une ville sans histoire, un peuple sans passé. L'histoire se retrouve à chaque coin de rue. Aussi dans ces bâtiments de quelques étages avec leur cour, où jouent les enfants, qui auraient pu être entretenus et ne le furent pas. Ces immeubles loin des grandes tours impersonnelles. C'est l'image des constructions soviétiques, de cette volonté de trouver des espaces pour la société, de cette vision non individualiste. L'on fait du vélo, l'on joue au ballon dans les cours, pas dans les clubs de fitness, tout propres tout neufs. Moscou et ses cours, toute une histoire.

Depuis les année 90 et sous l'ancien maire Loujkov, beaucoup de bâtiments ont ainsi été détruits, les populations relogées, sans qu'il ne soit nécessaire d'annoncer un grand Plan. Ce changement de ton donne toute la dimension idéologique du projet, le maire de Moscou ayant même annoncé que les bâtiments historiques peuvent se retrouver "rénovés" si les gens le veulent. Il n'y a plus d'intérêt public, de protection de l'héritage historique et culturel, il n'existe donc que l'intérêt individuel à court terme. L'on utilise les habitants pour détruire ce qu'il est utile de détruire et qu'ils vivent heureux dans un appartement tout neuf bas de gamme, ensuite il sera de toute manière trop tard.

C'est une forme de décommunisation qui est opérée en Russie, à grande échelle. Chaque pays ex-soviétique a le choix de détruire ce qui l'arrange et dérange le moins sa population, ce qui rentre en quelque sorte dans sa politique nationale. En Ukraine ou en Pologne, ce sont les munuments de la Seconde guerre mondiale, à grands coups médiatiques, pour consommer la rupture avec la Russie et leur histoire commune. A grands coups de caméras et de lois. Car le bruit est aussi important que le fait. En Russie, ce sont les bâtiments avec cette recherche presque hystérique du neuf, de moderne, de l'Hi Tech, pour monter que nous aussi l'on peut et l'on peut encore mieux. Peu importe le complexe, il est parfaitement utilisé. Et dans tous les cas, il permet de faire table rase du passé, et surtout il faut l'affirmer haut et fort. Un peu comme une confession publique. 

Fallait-il absolument lancer un Grand Programme avec tout ce bruit, immédiatement sur près de 5000 immeubles? Un Plan qui va se réaliser sur 20 ans? Alors que les gens attendent demain les résultats: un grand appartement, propre, idéal, pour une vie qu'ils n'ont pas eu. Finalement, ceux qui devront déménager, si l'on tient compte du facteur temps, ne seront peut être pas ceux qui ont voté la Rénovation. Et pendant tout ce temps, leur appartement sera invendable. Tant qu'il ne sera pas détruit.

En fin de compte, pourquoi tout ce bruit, si ce n'est pour produire une grande déclaration commune, déclaration qu'il va falloir étendre à toute la Russie, car il est bien évident que sans Grande Rénovation, il n'y a plus d'avenir pour la politique du logement. Et si l'on prenait le temps de réfléchir ...


2 commentaires:

  1. Faisons table rase du passé ... "révolutionnaire"! Non, c'est simplement du "courte-vue" irresponsable ! C'est irrespectueux des habitants... qu'il y eu des erreurs OK! mais on peut améliorer sans tout détruire en y incluant les résidents dans les "projets" acceptables pour tous... c'est en tout cas pas démocratique ! mais c'est vrai que passer du collectivisme à la privatisation ... c'est pas simple ! et qui sommes-nous pour édicter nos points de vue occidentaux ! C'est en tout cas un sujet de réflexions !

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  2. Je suis tout à fait opposée à la politique de "rénovation" et cependant, je ne la confonds pas avec une décommunisation, car elle me paraît s'inscrire dans la même démarche fondamentale qui a conduit à détruire sous Khrouchtchev le monastère Tchoudovo au Kremlin (XIII° siècle), ou le quartier qui existait à la place de l'affreux hôtel Rossia ou la partie de l'Arbat existant avant l'abominable "nouvel Arbat". A mon premier voyage en URSS, je pleurais toute la journée devant ces destructions et ces quartiers de béton gris, et je voyais avec un serrement de coeur s'afficher partout le slogan: "Nous ferons de Moscou une vraie ville communiste", c'est-à-dire sans tout ce qui en avait fait le coeur de la Russie dont vous parlez, ses églises, ses palais, ses maisons fantasques et poétiques. Pourquoi ne pas ouvrir les yeux et se rendre compte que capitalisme et communisme sont les deux têtes d'un même serpent qui n'est dans l'esprit ni de la vieille Russie ni d'ailleurs de la vieille France? Ma cousine me disait en 90, à la vue des grandes avenues percées par le communisme dans la capitale: tout est prêt pour l'irruption du capitalisme sauvage. Cela dit, moi, je préférais les Khrouchtchovka qui se perdaient dans la végétation aux énormes machins qui surmontent les arbres de 30 mètres, mais enfin bon, le béton soviétique et le coeur de la Russie, cela ne me parait pas du tout la même chose.

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